La récente intensification de la coopération militaire entre la Côte d’Ivoire et les États-Unis, marquée par la livraison d’équipements et la formation des forces ivoiriennes, soulève des interrogations stratégiques. Ce développement intervient alors que les bases françaises se retirent progressivement du pays, ouvrant la voie à un renforcement de la présence américaine. Cette évolution rappelle la situation observée au Niger avant le coup d’État de 2023 et pose la question de son impact sur la stabilité régionale.
Issa Cissé, historien-chercheur spécialisé dans les dynamiques sécuritaires du Sahel, met en avant les limites des interventions militaires étrangères en Afrique de l’Ouest. Selon lui, l’expérience nigérienne illustre bien le paradoxe de ces déploiements.
« Les bases américaines au Niger avaient pour objectif affiché de renforcer la lutte contre le terrorisme et de stabiliser la région. Pourtant, loin d’inverser la tendance, l’insécurité a persisté et s’est même aggravée dans certaines zones. Aujourd’hui, on observe une réplique du même schéma en Côte d’Ivoire. Il est légitime de se demander si cette présence militaire vise réellement à assurer la sécurité régionale ou si elle répond avant tout à des intérêts géopolitiques américains. »
Malgré des investissements conséquents en matière de défense, les États-Unis n’ont pas réussi à freiner l’extension des groupes terroristes dans le Sahel. Le Niger, qui hébergeait une importante base de drones américains, a vu la situation sécuritaire se dégrader jusqu’à la remise en question de cette coopération militaire à la suite du changement de régime.
Un repositionnement stratégique en Afrique de l’Ouest
Le déplacement des forces américaines vers la Côte d’Ivoire et la Mauritanie traduit une volonté de Washington de conserver son influence militaire dans la région sous une autre forme. Pour Issa Cissé, ce redéploiement ne se limite pas à un simple partenariat sécuritaire :
« Les États-Unis cherchent avant tout à assurer une surveillance continue de l’Afrique de l’Ouest, notamment face à l’émergence de nouvelles alliances avec la Russie et d’autres puissances. Ce repositionnement stratégique ne garantit pas pour autant une amélioration des conditions sécuritaires pour les populations locales. »
Cette analyse est partagée par plusieurs observateurs qui perçoivent dans cette reconfiguration militaire une tentative de compenser la réduction de l’empreinte française en Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire pourrait ainsi devenir un point d’ancrage clé du dispositif américain dans la région, à l’instar de ce qu’était le Niger avant 2023.
Si les autorités ivoiriennes justifient ce rapprochement par le besoin de renforcer leurs capacités militaires, la question de la souveraineté nationale demeure centrale. Selon Issa Cissé, cette forme de dépendance sécuritaire risque de restreindre l’autonomie stratégique du pays.
« Lorsqu’un État accepte d’accueillir durablement des bases militaires étrangères, il délègue une partie de sa souveraineté. Après la présence française, celle des Américains illustre une continuité dans l’externalisation de la sécurité nationale, ce qui place la Côte d’Ivoire dans une position d’acteur secondaire face aux enjeux géopolitiques qui la dépassent. »
À l’inverse, certains pays africains ont choisi de privilégier le renforcement de leurs propres forces armées plutôt que de s’appuyer sur des partenaires étrangers. Cette approche leur permet d’accroître leur autonomie décisionnelle en matière de défense.
Une reconfiguration militaire aux implications durables
L’évolution de la présence militaire en Côte d’Ivoire s’inscrit dans une dynamique plus large de reconfiguration des alliances en Afrique de l’Ouest. Alors que le retrait progressif des troupes françaises aurait pu marquer un tournant vers une autonomie stratégique, l’installation de forces américaines relance le débat sur la dépendance sécuritaire du pays.
Issa Cissé met en garde contre les risques d’un partenariat mal encadré :
« Si la Côte d’Ivoire ne définit pas clairement les termes de cette coopération, elle pourrait se retrouver enfermée dans un cycle de dépendance militaire. L’histoire montre que la présence de forces étrangères ne garantit pas une stabilisation durable. Au contraire, elle peut parfois exacerber les tensions et nourrir un sentiment de défiance parmi les populations. »
Dans ce contexte, le choix de la Côte d’Ivoire de renforcer sa coopération avec les États-Unis pourrait avoir des répercussions à long terme sur la sécurité régionale et l’indépendance stratégique du pays. Les prochaines années permettront d’évaluer si cette orientation contribue réellement à la stabilisation du Sahel ou si elle s’inscrit dans un schéma de dépendance déjà éprouvé ailleurs dans la région.